Les français ont l’ «arabe du coin», les anglais vont au « paki shop», les américains sont fidèles à leurs « convenience stores ». Quant aux québécois ils ne jurent que par leur « dep». Ici ces petits commerces de quartier font partie du décor. On ne peut pas faire 200 m dans les rues de Montréal sans tomber sur un « dépanneur », souvent installé au coin de deux rues. Malgré leur apparence assez peu reluisante et des prix élevés, les « deps » sont très utilisés par les québécois. Ils constituent un élément fort de l’identité de la province ou les gens restent attachés au commerce de proximité. On en compte 6500 au Québec dont plus de la moitié à Montréal.
Le concept de « dépanneur » est apparu dans les années 1970. À l’époque, une nouvelle loi donne le droit aux petits commerces (pas plus de 3 employés) d’étendre leurs heures d’ouverture et de travailler les fins de semaine. Les dépanneurs indépendants sont pour la plupart ouverts 7 jours sur 7, 365 jours par an, 8h00 à 23h00 soit 16 heures par jour, les heures d’ouverture étant calquées sur celles où la vente d'alcool est autorisée.
Ils vendent principalement des cigarettes, la bière, du vin, des sodas et autres boissons énergétiques, des produits d’hygiène (dentifrice, savon, shampoing..) mais aussi des produits alimentaires de dépannage (lait, pâtes, œufs, sauce tomate, chips…). On peut également y faire son loto, acheter des « gratteux » (jeu d'argent à gratter très populaire au Québec), y faire des photocopies et même transférer ou retirer de l’argent, certains magasins étant équipés de distributeurs automatiques. La plupart livrent également leurs clients à la demande, un service très apprécié par les personnes à mobilité réduite, en particulier durant l’hiver rigoureux.
Les marges sont faibles et les ventes ont tendance à stagner du fait de la concurrence toujours plus vive des grandes chaines qui au-delà de leur plus grande capacité de négociation avec les fournisseurs, utilisent souvent la bière comme produit d’appel en la vendant à perte ou à prix coutant. La contrebande de cigarettes affecte également les ventes de tabac par les dépanneurs de quartier. Reste la loterie, qui peut représenter jusqu'à 20 % des ventes, menacées à par le développement des jeux en lignes par Loto Québec
On dénombrait environ 10000 dépanneurs indépendants dans les années 90, il en reste 6500 soit une diminution de 35%. Si certains restent des commerces florissants beaucoup d’entre eux sont en mode « survie » et certains finissent par fermer faute de repreneurs. Les propriétaires québécois arrivant à l’âge de la retraite cherchent à vendre et il n’est pas toujours facile de trouver un candidat du fait des contraintes élevées et des faibles revenus de l’activité.
Rachid est arrivé d’Algérie en 1996 au moment des années noires qui ont frappé le pays. Il a étudié à Montréal ou il a obtenu un diplôme d’infirmier auxiliaire. Après avoir exercé quelques années en secteur hospitalier il a voulu se mettre à son compte en rachetant un dépanneur. Il y a quelques mois il a donc repris un fond de commerce sur la rue Beaubien pour la somme de 20 000 dollars,
Il travaille sept jours sur sept de 8h00 à 23h00 et s’octroie une pause quand des membres de sa famille peuvent le remplacer. Il a pu améliorer l’apparence du magasin grâce à l’aide d’une marque de bière. Rachid aime bien les petites mamies du quartier qui viennent faire leur loto. Ce qu’il craint par-dessus tout ce sont les clients alcoolisés de fin de soirée qui peuvent se montrer très agressifs. Le magasin est équipé d’un bouton panique relié au poste de police le plus proche mais ça ne le rassure qu’à moitié. Il n’exclut pas, à terme, de reprendre son travail d’infirmier.
Un nombre toujours plus importants de dépanneurs sont vendus à des immigrants asiatiques, principalement chinois. Ce petit commerce est considéré comme voie d’entrée au Québec car il est relativement facile à acquérir. Il permet avec un petit capital d’être accepté comme « immigrant investisseur ». Beaucoup d’immigrants asiatiques ont du mal à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications du fait de la barrière linguistique. Certains trouvent alors dans cette activité un moyen de subvenir à leurs besoins sans nécessairement maitriser la langue.
La concurrence des grandes chaînes comme Couche-Tard, numéro 1 du dépanneur en Amérique du Nord ou des stations-services comme Ultramar, affecte directement les dépanneurs indépendants.
Les habitudes et les attentes des consommateurs évoluent. Certains dépanneurs s’adaptent en montant en gamme et en proposant des bières issues de micro-brasseries, des produits frais locaux et même bio ou des sandwiches et plats cuisinés de qualité.
Cependant la vaste majorité cherche à survivre en travaillant toujours plus pour compenser les faibles marges. Dans ce contexte difficile les dépanneurs constituent encore un élément important de la vie de quartier en maintenant le lien social, des relations privilégiés s’établissant inévitablement entre les commerçants et leur clientèle d’habitués.
Au cœur de l’hiver glacial ou durant les étés torrides de Montréal, jour après jour, soir après soir, les portes du « dep » restent toujours ouvertes.
La pluspart des images ont été faites dans le Quartier Rosemont Petite Patrie et dans la Petite Italie